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Ce que sanctionner veut dire

Ce que sanctionner veut dire
Eirick Prairat
Université de lorraine
Introduction
La sanction1 est une question frappée d’une urgence à la fois réflexive et politique. Notre intention n’est pas de livrer une synthèse ou de faire le point sur une recherche mais de répondre à une question : "qu’est-ce qu’une sanction éducative ? ". Voilà la tâche intellectuelle qui est ici la nôtre ; précisons que c’est dans le champ de la philosophie que s’inscrit ce travail d’élucidation.
Le problème du fondement, celui des fins et des principes structurants ; telles sont les premières questions que nous explicitons dans une première partie. Dans une seconde, plus brièvement, nous pointons les contradictions qui travaillent le concept de sanction éducative, contradictions qui mettent en évidence la dimension fondamentalement aporétique de tout travail éducatif. Enfin, dans une dernière partie, nous montrons que penser la sanction dans un horizon éducatif exige de rompre avec un héritage (la conception expiatrice) et un courant de pensée dominant (le comportementalisme) pour se situer dans une perspective dialectique, celle du moralisme et de l'instrumentalisme.

La question du fondement
La morale ignore le principe de rétribution, elle est étrangère aux lois de l'équilibre et de la compensation. Dans l'ordre de la morale, le petit délinquant n’est pas un sujet à punir mais une personne à plaindre. On ne peut déduire, en toute rigueur, la sanction de la faute morale. Lorsque je viole le précepte qui m'ordonne le respect d'autrui, je peux faire retour sur mon acte et l'analyser sous toutes les coutures, je n'y trouverai jamais le blâme ou le châtiment. « Jamais, écrit justement Jean-Marie Guyau (1985), cette affirmation : - Vous êtes bon, vous êtes méchant -, ne pourra devenir celle-ci : - Il faut vous faire jouir ou souffrir (...). Le vice comme la vertu ne sont donc responsables que devant eux-mêmes et tout au plus devant la conscience d'autrui » (pp. 172-173).

Déconstruire l'idée de sanction morale n'est pas se résigner et abandonner la question du fondement mais ramener la logique de la sanction dans sa sphère de validité. Fonder la sanction c'est l'inscrire dans un espace marqué au sceau du droit et en admettre la double présupposition fondatrice: la reconnaissance d’un principe d'identité entre les sujets et l'objectivation des libertés et des interdits en une série de droits partagés et de contraintes explicites. Il faudrait reprendre ici la thèse de Hegel dans les Principes de la philosophie du droit (1989) montrant qu’une violation n'a d'existence positive que dans un monde où les volontés ont accédé à l’ordre de l’empirie et que c'est précisément le droit qui leur donne cette existence empirique en les objectivant en un ensemble de droits concrets et positifs. La volonté, en devenant Idée, entre dans « la sphère d'une appréciation quantitative comme dans celle des déterminations qualitatives » (§96).

En d’autres termes, et plus simplement, dans le monde objectivé du droit, il n'y a plus de faute morale mais seulement une série d'infractions, c'est-à-dire des violations objectives dont on peut apprécier la gravité. Non seulement le droit objective les violations, mais il les fait entrer dans un ordre du commensurable ; une hiérarchie des transgressions devient pensable. Fonder l’acte de punir c'est l'inscrire dans un espace qui institue et consacre la réciprocité et la mutualité comme principes régulateurs de la vie sociale ; c’est dans un ordre marqué au sceau de la règle que la sanction devient sensée et légitime.

Le droit de punir appelle une nouvelle et difficile question car avoir un droit ne règle pas, ipso facto, la question des fins. Pour quoi punir ? A quelles fins peut-on user de ce droit dans une institution éducative ? C'est à cette question qu'il nous faut maintenant répondre.

Les visées de la sanction éducative
Faisons d'emblée nôtre l'orientation de Marcel Conche, dans Le fondement de la morale (1993) : « l'action de punir, comme toute action, ne se justifie que s'il en résulte quelque chose de bon. Si l'enfant doit être puni, c'est seulement dans la mesure où l'action de punir peut être intégrée à l'oeuvre d'éducation » (p.88). Mais comment précisément intégrer la sanction à l'oeuvre d'éducation ? Comment faire pour qu'elle ne soit pas une parenthèse mais un moment du procès éducatif ? Quelles fins convient-il de lui assigner ? Nous soutenons l'idée qu'une sanction doit poursuivre une triple fin : politique, éthique sociale. Ces trois fins sont d'égale dignité, nous ne saurions donc en privilégier une au détriment des deux autres. Présentons chacune de ces fins.

Une fin politique
La sanction vise à rappeler la primauté de la loi et non la prééminence des adultes. Plus généralement, elle manifeste l'importance de l'existence d'un ordre symbolique structurant: le droit ou plus simplement l’ensemble des règles explicitées. Une sanction qui entend faire oeuvre d'éducation, ne peut donc être utilisée comme une stratégie de réactivation du pouvoir du maître ou de l'adulte. Rappeler la loi, c'est aussi en appeler à sa valeur d'instance, c'est-à-dire à sa capacité à lier un "je" à un "tu" pour faire advenir un "nous".

Il n'y a pas de "vivre-avec" (autrui) qui ne soit articulé à un "vivre-devant" (la loi). Le vivre-ensemble ne peut être pensé comme ferme et permanent que sur fond d'une instance trans-subjective. Et ce trans-subjectif c'est la loi. La sanction rappelle que les lois que le groupe se donne ne peuvent être impunément ignorées ou violées au risque de le faire éclater. Telle est la finalité politique de la sanction : rappeler la loi pour préserver l'identité et la cohésion du groupe. Toute infraction met en péril le groupe dans son existence sociale car la loi est ce qui nous relie par la dialectique des droits et des devoirs.

Mais qu'est-ce qu'un rappel à la loi si la loi est inique ? Qu'est-ce qu'un rappel à la loi si celle-ci n'est qu'une petite règle tatillonne ? Réfléchir sur la sanction c'est toujours réfléchir en amont de celle-ci. Le sens et la lisibilité de la loi et plus fondamentalement la mise en place d'un véritable cadre socialisant est une exigence essentielle car la sanction ne prend sens et efficience que comme élément d'un dispositif plus global où se nouent paroles, lois et responsabilités.

Une fin éthique
La transgression, dans et sous certaines conditions, participe à la construction du sujet socio-politique, tout comme l'erreur, dans des conditions didactiques précises, participe à l'évolution intellectuelle du sujet cognitif. Embarqués dans leur quête d'identité et de reconnaissance, l'enfant et l'adolescent se plaisent à bousculer les règles, à tester le cadre qui les contient. Ils s'éprouvent en éprouvant la fiabilité de leur environnement social. Rien de pire que le silence en cas de transgression caractérisée de la loi. « Il importe de toujours rétablir les limites, de reformuler à chaque fois les interdits structurants (...). Ne faisons pas silence sur ce qui s'est passé. A chaque fois, on a à signifier que l'acte a été entendu, son responsable reconnu... » (Cifali, 1994, 110). Le mal est peut-être moins la transgression en elle-même que l'ignorance de la transgression.

Nous ne sommes pas assez hégélien sur ce point en minorant le travail du négatif. La transgression ne supprime pas la loi, elle est passage au-delà, elle est encore un moment de travail et d'intériorisation de la loi si la sanction sait faire écho à ce moment "négatif". La sanction est un moyen de promouvoir un sujet responsable en lui imputant les conséquences de ses actes. Cette proposition peut surprendre car certains auteurs affirment que l'on ne peut punir qu'un sujet responsable. S'agit-il alors de faire advenir une attitude responsable ou, au contraire, faut-il la présupposer? Philippe Meirieu (1991) a montré que l'on peut échapper à ce diallèle par la dialectique de l'être et du devoir-être.

Sanctionner, écrit-il, c'est bien en effet attribuer à l'autre la responsabilité de ses actes et même si cette attribution est constitutivement prématurée, même si elle est, stricto sensu, au moment où elle est faite, un leurre - puisque l'enfant n'est précisément pas déjà éduqué -, elle contribue à son éducation en créant chez lui progressivement cette capacité d'imputation par laquelle sa liberté se construit. Celui qui a commis la faute n'aura peut-être pas agi de son plein gré, il aura peut-être été le jouet de l'influence de son entourage ou, simplement de ses impulsions... Mais le fait de lui attribuer la responsabilité de ses actes le mettra, en quelque sorte en situation de s'interroger progressivement sur ceux-ci et d'en être, de plus en plus, le véritable auteur. Plus radicalement, peut-être, en anticipant une situation sociale future on anticipe le sujet libre et on lui permet d'advenir. (p.110)

C'est en pariant sur la liberté d'autrui qu'on l'actualise. La sanction possibilise en l'enfant l'émergence de sa responsabilité subjective. Il ne s'agit donc pas d'attendre que l'élève (ou l'enfant) soit responsable mais de le sanctionner de telle manière qu'advienne en lui un sujet responsable. Il n'y a pas à "attendre-que" mais à "agir-pour-que". Et cet "agir-pour-que" s'adresse toujours à un sujet singulier inscrit dans une situation singulière.

Une fin sociale
La sanction est un coup d'arrêt. Sans celui-ci, l'enfant peut être amené à persévérer, à aller plus loin, à faire plus mal, à se faire plus mal. « La sanction, écrit Jean-Bernard Paturet (1997), a donc comme fonction essentielle quand elle est fondée sur cette reconnaissance du sujet désirant, d'empêcher que le sujet se perde dans une régression infinie ou dans une puissance mortifère » (p.6). L'éducateur doit soutenir des "non", savoir faire face même si ces prétentions narcissiques doivent en souffrir. La peur de ne plus être aimé taraude souvent l'éducateur qui s'oppose ou se risque à poser un refus.

Coup d'arrêt dans une trajectoire déviante pour réorienter un comportement et remettre l’adolescent, selon une belle formule d'Emmanuel Lévinas (1985), " dans la droiture de l'en-face-de lui " (p.58). La sanction éducative, par delà son effet césure, tend à réinscrire le coupable dans le jeu social de la réciprocité. Elle vise à reconstruire le lien social blessé et, par là même, à redonner à la victime (si victime il y a) la place pleine et entière qui était la sienne avant la transgression (Garapon, 2001).

Visée politique, visée éthique, visée sociale ... et si l'action éducative, elle-même, résidait dans la conciliation toujours incertaine de ces trois soucis : souci d'une transcendance (que celle-ci soit la loi, les savoirs ou l'univers de la culture), souci d'un sujet en devenir et souci d'un lien social immédiat et toujours fragile. Ironie de l'histoire, la sanction loin d'être l'Autre de l'acte éducatif en est peut être l'analogon dans la mesure où elle en résume les enjeux et en cristallise les tensions.

Les principes structurants
La question des fins clarifiée, il est possible d'énoncer les grands principes qui dessinent la figure d'une sanction éducative. Bien sûr, le contenu et les modalités d’application de ces principes varient selon l’âge, ils n’en demeurent pas moins des invariants en tant que principes structurants.

Un principe de signification
Cela signifie déjà que la sanction éducative s'adresse à un individu et non à un groupe. Elle est individuelle et non collective. Les Anciens déconseillaient déjà la sanction collective, c'était à leurs yeux prendre le risque de se mettre à dos la classe dans son ensemble. Question de prudence. Les nouveaux pédagogues ont dénoncé pour d'autres raisons cette modalité punitive. Aujourd'hui, on invoque une règle élémentaire de droit pénal pour disqualifier la sanction collective en affirmant que nul ne peut être inquiété pour un acte qu'il n'a pas commis ou dont il n'est pas complice.

Sanction orientée vers un individu ; mieux, sanction qui s'adresse à un sujet. Cela renvoie à deux exigences : une exigence négative et une exigence positive. L'exigence négative consiste à renoncer aux mises en scène spectaculaires, à toutes les formes punitives exemplaires et édifiantes. Cela ne signifie pas que l’on doit se priver des formes qui travaillent le symbolique. La solennité a toute sa place lorsque les circonstances l'exigent. En d’autres termes, il faut parier sur la gravité et non sur le drame. La dramatisation vise la sensibilité, le pathos de l’existence ; la gravité est appel à la raison, à la réflexion, elle vise le logos de l’existence. Bien sûr, la gravité s’inscrit dans l’ordre du sensible (gestes, postures, mimiques, …) mais elle n’y séjourne pas ; elle s’appuie sur celui-ci pour en sortir car elle est amorce d’une annonce.

D’où la seconde exigence, dialectiquement liée à la première ; la sanction appelle la parole. « La peine doit être inaugurée par une parole » (p.156) écrivent Antoine Garapon et Denis Salas (1995) car elle n’a de sens que dans la perspective d’une réinscription du sujet dans l’ordre du symbolique. Revenir sur la transgression et ses conséquences, demander, écouter mais aussi expliquer ce qui est inacceptable. Sanctionner sans s'assurer que la sanction soit comprise ou puisse être, tôt ou tard, comprise est tout simplement sévir (saevus signifie cruel). Le "faire-comprendre" est un principe régulateur de l'action éducative (Reboul, 1990).

Pas de sanction appliquée qui ne soit expliquée. Pourquoi privilégier la parole ? Pourquoi ne pas plaider pour la sanction automatique ou la peine mimétique qui sont, elles aussi, des manières d'articuler la sanction à la transgression par un lien temporel ou formel ? Parce que la parole a un statut particulier, elle lie et délie en même temps. Au plan du sens, elle relie la sanction à la transgression, elle fait un pont symbolique entre les deux actes ; au plan pratique, elle met la sanction à distance de la transgression et l’empêche ainsi d'être une simple vengeance. C’est précisément parce que la vengeance est l’acte silencieux par excellence que la sanction s’annonce et se parle. Dans les cas de transgression grave, il est pertinent de ritualiser ce moment de parole, d'en faire selon le mot de Paul Ricoeur (1995) "une cérémonie de langage" (p.198).

Un principe d’objectivation
Ce principe mérite moins de commentaires que le précédent. La faute inscrite au coeur de cette double modalité constitutive de notre existence sociale (le "vivre avec" et le "vivre devant") n'est pas manque mais manquement à une objectivité établie. Elle n'est pas un "en soi", un défaut à chercher dans l'intériorité d'un sujet mais un acte défectueux. La faute inscrite dans l'espace socialisé des droits et des interdits devient une transgression. On sanctionne des faire-contre, des passages à l’acte, des actes attentatoires à l'ordre commun. On ne punit pas l'intégrité d'une personne mais un acte particulier qui a été commis dans une situation particulière. On ne sanctionne pas un voleur mais un vol, on ne punit pas un tricheur mais une tricherie.

La sanction n'est donc pas incompatible avec la dignité éducative puisqu'elle ne sanctionne que l'indignité d'un comportement. S'en tenir aux actes répréhensibles est non seulement un principe d'objectivation (comment sanctionner des intentions qui ne se sont pas objectivées ?) mais aussi un principe de préservation qui demande, au plan pratique, ce que Haim Ginott (1971) a appelé dans ces travaux sur la discipline une "communication congruente". Dans la relation dialogique congruente, l'adulte centre son intervention sur la situation et se refuse à tout discours sur le caractère ou la personnalité de l'enfant. L'éducateur congruent ferme ainsi la porte aux procès d'intention, aux effets d'étiquetage et à toutes les formes de stigmatisation qui bien souvent condamnent le fautif à la réitération en l'enfermant dans une nature. La sanction éducative restreint le domaine du punissable pour ne pas avoir à se perdre dans les supputations malignes et les accusations infondées.

Un principe de privation
La sanction éducative prend une forme privative, elle peut déjà être privation de l'exercice d'un droit, au sens juridique du terme. Proposition qui n'a de sens que si l'espace éducatif décline de manière lisible les droits et les obligations de chacun. S'il est bon que les règles de vie fixent avec clarté les obligations et les interdictions, il n'est pas bon en revanche qu'elles se résument à une liste d'interdits car le travail de socialisation doit s'inscrire dans un espace marqué par le pôle des interdits et celui des licences. C'est cette tension qui permet, au plan pratique, l'émergence d'une liberté d'action effective et, au plan symbolique, le dépassement de l'oscillation paralysante entre l'illusion de toute puissance et l'angoisse d'impuissance.

Privation d'usage, interdiction d'activité, mise à l'écart temporaire... Il s'agit, plus largement, de priver le contrevenant des avantages de la communauté. La sanction compromet les droits, les occasions et les opportunités, elle restreint les possibles ; d’un mot elle diminue momentanément la capacité d’agir. Son ressort n’est pas l’humiliation mais la frustration. Mais ce troisième principe n'est pas suffisant car la sanction ne doit pas être un mal de passion, une pure passivité, elle doit comporter une part d'activité pour s’inscrire dans une dynamique de reconstruction du lien social.

Un principe de socialisation
La sanction doit s’accompagner d’un geste du coupable à l’attention de la victime ou du groupe. Ce doit être un geste d’apaisement, de bonne volonté qui manifeste le souci de rester solidaire ; Généralement, le coupable n’y pense pas, il faut l’inciter, lui faire comprendre ou sentir que ce geste est aussi un signe. Il peut prendre différentes formes : une petite déclaration, un mot d’excuse, un engagement … La sanction peut aussi s’accompagner, voire se réduire à un acte de réparation.

Réparer : c’est remettre en état, refaire, raccommoder. C'est aussi compenser. C'est à Mélanie Klein que revient le mérite d'avoir introduit la notion de réparation comme concept clinique pour désigner un mécanisme inhérent à la position dépressive. Selon cet auteur2, l'enfant est très tôt confronté à la peur inconsciente de l'anéantissement, à des pulsions persécutrices qui sont des fantasmes de destruction, de mise en pièces et de dévoration. Face à ses pulsions morbides, l'enfant est envahi par l'angoisse et la culpabilité d'avoir détérioré l'objet d'amour (la mère). Craignant de perdre l'amour en même temps que l'objet, l'enfant désire annuler le mal qu'il a fait. A l'origine de la tendance réparatrice se trouvent donc la peur de perdre l'amour et le sentiment de culpabilité qui l'accompagne. La réparation est une tentative d'apaisement et d'élaboration des pulsions, un processus de maturation qui se fonde sur la reconnaissance de la souffrance causée. C'est en ce sens que les procédures réparatoires nous intéressent car celui qui manifeste le désir de réparer est en position de responsabilité par rapport à ses actes. Il les reconnaît et les assume.

Le besoin de réparer est aussi le désir de se réparer. La dialectique réparer/se réparer est bien réelle car l'objet réparé ne revient jamais à l'état antérieur ; il est autre, il est créé à nouveau. C'est en recréant l'objet que le fautif se recrée lui-même. La réparation est, en ce sens, un mouvement de construction du moi. Réparer, c’est aussi être en position de reconnaissance par rapport à autrui car si l'on répare quelque chose, on répare aussi et d’abord à quelqu'un. La réparation est orientée vers "un autrui". Avoir recours à une procédure réparatoire, c'est au-delà du face-à-face punisseur-puni introduire une tierce personne qui est la victime. C'est à elle que s'adresse la réparation. En ce sens, on peut dire qu’une sanction éducative est une sanction reconstructive car elle tend à retisser les fils et à renouer le lien social, un instant blessé.

La dimension aporétique de la sanction
Principe de signification (elle s'adresse à un sujet), principe d'objectivation (elle porte sur des actes), principe de privation (elle supprime des droits ou des avantages) et principe de socialisation (elle appelle une réparation ou un geste matériel et/ou symbolique à destination de la victime ou du groupe), tels sont les principes structurants de la sanction éducative. Nous ne plaidons pas pour une sanction rationnelle mais pour une sanction intelligente, mixte de raison et d'humanité. La sanction rationnelle est introuvable.
La sanction s'adresse à un sujet, avons-nous dit, elle exige du sens, de la parole. Parole qui rassure, parole qui libère, parole qui guérit, les effets thérapeutiques de la parole ont été maintes fois évoqués, aussi recommander l'écoute et l'explication n'est guère original. Mais ce qu'il faut ici relever c'est que nous préconisons la parole au moment même où elle vient signifier son impuissance à régler un différend. "Homme de parole", "parlêtre", il nous faut toujours parier sur la parole même lorsque celle-ci vient à échouer, telle est notre paradoxale condition. La sanction éducative ne porte pas sur des intentions mais sur des actes, telle est notre seconde règle d'or. Mais qui ne voit que l'on ne sanctionne jamais un acte pur. On ne saurait sanctionner une inadvertance ou une maladresse, ce qui peut faire l'objet d'une sanction c'est toujours un acte mais un acte nourri par... une intention malveillante.

La sanction rationnelle est une fiction. Examinons pour finir de nous en convaincre nos deux derniers principes. La sanction éducative se présente sous une forme privative. Fabrice Hervieu (1996), a bien montré que "ce qui est psychologiquement très différent... ne l'est pas toujours dans les faits" (p.39). Dilemme de la forme, les plus beaux principes s'abîment en s'incarnant. Une sanction ne prend vraiment sens qu'en s'inscrivant dans un contexte éducatif plus large qui l'englobe et lui assigne une place dans le jeu des interactions qui tissent la trame sociale. Enfin, la sanction éducative doit s'accompagner d'un geste en direction de la victime ou comporter une mesure réparatrice. Bien des arguments, nous les avons exposés, militent en faveur de la réparation. Celle-ci évite notamment à la sanction d'être un simple pâtir qui viendrait, dans un autre temps -le temps de la peine- annuler l'agir de la faute. La réparation est une manière de rompre avec la logique du subir, elle transforme la peine en un effort.

Mais ne peut-on pas là encore retourner l'argumentation, ne peut-on pas déceler une faille au coeur même de la visée réparatrice comme le montre Monique Schneider (1990) ?

Elle maintient intact le phantasme d'avoir été soi-même destructeur de l'objet, confirmant ainsi le phantasme de toute puissance... L'issue permettant de reconvertir et d'élaborer les pulsions destructrices exige peut-être un processus différent : faire le deuil de l'illusion de toute puissance et accepter qu'après le massacre actualisé dans le phantasme, l’objet soit appréhendé comme vivant de sa vie propre. Une telle opération n’est concevable, précise-t-elle, que si la recherche analytique ne s’enferme pas dans les seules permutations affectant la vie phantasmatique du sujet. (p. 2232)
Et si la réparation, tout au moins dans ses formes les plus immédiates et les plus symétriques, était précisément ce qui interdisait la nécessaire coupure dans la toute puissance en maintenant le contrevenant dans sa posture démiurgique ?
La contradiction n’est pas seulement inscrite dans les principes structurants mais aussi dans les fins poursuivies. Comment en effet concilier les visées politique et sociale avec la fin éthique ? D’un côté, il s’agit de socialiser et d’intégrer et de l’autre d’autonomiser et d’affranchir. C’est ce que souligne Meirieu: « la sanction sanctionne toujours un écart à la norme admise, l’infraction à la règle du jeu imposé. En ce sens, elle a une fonction intégrative par excellence. Si la sanction est un instrument de conformisation elle est aussi un moyen de promouvoir et de reconnaître l’émergence d’une liberté ». « Dans cette perspective, conclut Meirieu, la sanction assumerait parfaitement la tension constitutive de l’éducation, entre conformiser et émanciper » (pp.65-66). La sanction porte à son point d’incandescence la dimension aporétique de la raison éducative.

Au-delà des conceptions expiatrices et comportementalistes
Penser l'idée de sanction éducative, c'est rompre avec un héritage : celui de l'expiation. C'est aussi récuser un mode de pensée prégnant : le béhaviorisme. Toute une série de travaux anglo-saxons, d'inspiration skinnerienne, se sont attachés ces vingt dernières années, la conjoncture aidant, à préciser les conditions optimales d'une parfaite obéissance3 . Ces travaux ne nous intéressent guère car ils ravalent la sanction à une vulgaire peine. En fait, le béhaviorisme procède d'une critique incomplète de la position naturaliste. Ecoutons Spencer (1878) faire l'éloge de la sanction naturelle et nous y découvrirons par avance les principes prônés par le béhaviorisme.

Remarquez que ces réactions naturelles qui suivent les actions erronées de l'enfant sont constantes, directes, sûres, et qu'il ne peut y échapper. S'il enfonce une épingle dans le doigt, il y a douleur, s'il l'enfonce encore, il y a douleur une seconde fois ; et ainsi de suite sans fin. Dans tous ses rapports avec la nature inorganique, il rencontre cette persistance qui n'écoute aucune excuse, et de laquelle on ne peut appeler ; et bientôt reconnaissant de cette discipline sévère quoique bienfaisante, il devient extrêmement attentif à ne pas transformer la loi. (pp.183-184)
Ce qui rend la nature admirable en son fond c'est précisément ce qui semble faire défaut à l'homme : la permanence. « Pourquoi l'enfant apprend-il très vite que le feu brûle ?», se demande la pédagogue Ellen Key (1908).
Parce que le feu brûle toujours. Mais maman qui tantôt menace, tantôt frappe, tantôt cajole ; qui tantôt pleure, tantôt défend et tout de suite après permet ce qu'elle a défendu ; qui ne maintient pas les sévérités dont elle vous menace ; qui n'oblige pas à l'obéissance mais qui sans cesse bavarde et gronde qui en un mot "agit tantôt comme ceci, tantôt comme cela et tantôt autrement", maman n'a pas la même méthode éducative que le feu ! (pp. 112-113).
Dans le béhaviorisme, il ne s'agit plus de laisser la nature punir mais de punir comme elle, avec la même rigueur, la même systématicité, la même rapidité... La nature n'est plus un principe de légitimation mais un modèle. Or, suivre la nature c'est invariablement rabattre"ce qui est mal" sur " ce qui fait mal", assimilant l’interdit juridique ou moral sur une simple figure du danger. Plus fondamentalement, et de manière sans doute un peu paradoxale, il faut se garder de la tentation de l'efficacité absolue qui est toujours, qu'on le veuille ou non, sous-tendue par un désir effréné d'emprise et de domination. Il faut oublier les béhaviorismes anciens et nouveaux, tous les avatars psychologisés du dressage et du formatage.

Il faut aussi en finir avec une vieille idée qui, des siècles durant, a structuré la pensée punitive dans nos sociétés. La conception expiatrice constitue une véritable ligne de fracture dans la pensée occidentale. Platon, Leibniz, Kant ou encore Hegel en défendent le principe. Dans le camp des opposants, pour s'en tenir à quelques grands noms, on peut citer Bentham, Mill ou Piaget. Ce clivage ne renvoie pas strictement à la classique opposition des anciens et des modernes, pour preuve Cousin, Renouvier ou Janet adhèrent à une conception expiatrice. Cette conception punitive est exposée avec une grande clarté par Platon dans le Gorgias (476a- 479e). Après avoir convaincu Polos qu'il vaut mieux subir l'injustice que la commettre, Socrate montre que la sanction est toujours préférable à l'impunité car elle libère l'âme de la méchanceté qui l'assaille. On peut résumer l'idée d'expiation sous la forme synthétique de trois propositions :
1. La faute est conçue comme un mal ;
2. Il est toujours possible de trouver un mal à infliger (la peine) quantitativement équivalent au mal commis (la faute) ;
3. La peine, souvent douloureuse, équilibre ou efface le mal commis.
A partir de ces trois propositions, on peut relever deux variantes, deux manières de penser l'expiation. Dans la première version que l'on peut qualifier de religieuse ou de métaphysique, la faute est une souillure ou une maladie et la peine une sorte de médecine, c'est-à-dire un mal qui promet un bien (le retour à la pureté, la guérison). Dans la version sécularisée, la faute est une dette que la sanction vient annuler ou compenser grâce à une arithmétique des équivalences. Elle remet en quelque sorte le compteur des griefs à zéro. On peut contester d'un triple point de vue une telle conception punitive.

- L'idée d'associer la faute à une maladie ou à une dette est pour le moins discutable, il est en tous cas illusoire de croire que la sanction peut effacer ou annuler une transgression. Il faut reconnaître avec Vladimir Jankélévitch (1966) qu'il y a "un avoir-eu-lieu irrévocable de la faute". Ce qui est fait est fait et il ne peut en être autrement.

-Seconde critique, l'expiation est une sanction résolument tournée vers le passé puisqu'elle entend rétablir le statu quo ante, revenir symboliquement et psychologiquement à la situation d'innocence qui a précédé la faute, niant d'un même mouvement l'histoire du sujet.

-Enfin, dans sa forme métaphysique, l'expiation sacralise la violence. Il y a dans les conceptions expiatrices du punir bien souvent une véritable mystique de la violence, la violence se trouve magnifiée et parée d'étranges vertus psychologiques ou sociales.
Il n'en reste pas moins que cette conception punitive a encore d'ardents défenseurs. Quels arguments plaident en sa faveur ? Nous inclinons à penser qu'elle est la forme même de notre inconscient punitif et ce, pour au moins trois grandes raisons que nous allons brièvement présenter.

On peut déjà suggérer une explication anthropologique. Dans les sociétés primitives, le crime représente une violation des lois du tabou qui déterminent et garantissent l'organisation de la communauté. L'individu qui enfreint ces lois informulées mais admises par tous met en danger l'ensemble du clan. Mais cela ne conduit pas la communauté à le punir car la violation du tabou porte en lui son propre châtiment. Immanence de la peine, ce sont les lois du cosmos qui puniront le contrevenant dans une vie ultérieure ou dans sa descendance. Il faudra d'importantes transformations culturelles et religieuses pour que cette extraordinaire prérogative (le droit de punir) revienne aux hommes.

Dans un premier temps, c'est pour éviter à la communauté misère et malheur que l'on se met en quête de retrouver le coupable. La peine qu'on lui inflige vise à annuler les effets de la faute dans l'ordre du sacré. On punit pour épargner une communauté ou plus exactement pour rétablir l'harmonie première un instant perturbée. Ce n'est que dans un second temps que la sanction devient expiation, rétribution individuelle, c'est-à-dire peine à l'adresse d'un fauteur de trouble. Si l'expiation n'est pas à strictement parler, la première forme punitive, elle est en tout cas l'une des toutes premières tentatives par laquelle les hommes ont tenté de juguler les déviances religieuses et sociales au sein d'une communauté. La sanction expiatrice a le privilège de l'antériorité et le prestige de tout ce qui est marqué du sceau des commencements4.

Il existe une explication psychologique, elle est simple, nous avons tous été pendant nos jeunes années des adeptes de l'expiation, certains d'entre nous le sont d'ailleurs encore. Piaget nous explique dans Le jugement moral (1985) que jusqu'à 7-8 ans, la morale du jeune enfant est une morale de l'hétéronomie et du devoir. La faute est pensée comme un acte de désobéissance et la sanction comme une mesure effaçant par l'efficace de la douleur la faute commise. A huit ans, s'ouvre l'ère de l'autonomie et de la coopération, la faute n'est plus attitude de désobéissance mais rupture du lien de solidarité. La sanction valorisée n'a plus vocation à ramener l'individu à l'obéissance par une coercition douloureuse mais exige une remise en état, fait supporter au coupable les conséquences de sa faute ou inflige un traitement de réciprocité. Piaget nomme ce second type de sanction "sanction par réciprocité". Pour Freud également, le jeune enfant adhère à une morale expiatoire. La sanction de l'adulte provoque dans son esprit des idées d'expiation en vertu de "la précocité de la loi du talion" dans l'inconscient. Plus précisément, les réprimandes de l'adulte viennent se superposer aux réactions instinctives de vengeance qui habitent l'esprit enfantin. En ce sens rompre avec la conception expiatrice c'est non seulement rompre avec un héritage culturel mais c'est aussi rompre avec ses premières représentations.

On peut avancer une dernière explication moins liée au contenu représentationnel de la pensée qu'à sa forme même. Si la procédure expiatoire a autant d'écho c'est parce qu'elle satisfait aux exigences d'équilibre et de symétrie de l'esprit. Lorsque Platon évoque la peine du parricide dans Les Lois, il a cette phrase révélatrice : « la souillure ne réussit pas à être lavée chez le coupable avant que l'âme de celui-ci n'ait par un meurtre pareil, payé le prix d'un meurtre pareil (873a). La peine n'est pas seulement équivalente à la faute, elle lui est identique. Toute l'efficace supposée de la peine est dans ce principe d'identité qui accrédite l'idée que la peine vaut la faute.

Le moralisme et l’instrumentalisme
Nous voudrions maintenant préciser l'horizon théorique à l'intérieur duquel l'idée de sanction éducative vient s'inscrire. Les travaux du juriste Michel Van de Kerchove (1997) sur l'éthique de la pénalisation ouvrent sur ce point des perspectives intéressantes. Rappelons que le processus de pénalisation est un processus qui consiste à déterminer la peine correspondant à un comportement incriminé. Pour Michel Van de Kerchove, on peut distinguer deux conceptions diamétralement opposées en matière d'éthique pénale : le moralisme et l'instrumentalisme.

Le moralisme part du principe que l'accomplissement de l'infraction pénale (considérée en elle-même comme un acte immoral tant du point de vue subjectif qu'objectif) constitue la condition à la fois nécessaire et suffisante pour justifier la peine, de même que la nature et la gravité de l'infraction constituent les seuls critères permettant de justifier la nature et l'intensité de la peine. Corrélativement, aucun argument fondé sur les conséquences découlant du choix de la peine ne peut être invoqué à cet effet. (p.1112)
On ne punit pas pour que mais parce que. On punit parce que la loi a été enfreinte. L'infraction légitime, à elle seule, le droit de punir. Quant à la nature et à l'intensité de la peine, elles se déduisent de la nature et de la gravité de l'infraction. Une telle position trouve une expression paradigmatique dans la conception kantienne de la peine. « La peine juridique, écrit Kant (1988), ne peut jamais être considérée simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit par le criminel, soit pour la société civile, mais uniquement lui être infligée, pour la seule raison qu'il a commis un crime" ( 2ème partie, 1ère section, remarque E). Pour Kant, la peine ne peut être appréciée qu'en terme de justice, c'est-à-dire sur la base d'un argument qualifié de "moral" (quia peccatum est) et non en termes d'utilité ou d'efficacité c'est-à-dire sur la base d'un argument jugé "simplement pragmatique" (ne peccatur).

En ce qui concerne la nature et l'intensité de la sanction, Kant s'en remet à la loi du talion parce que précisément celle-ci ne fait appel à aucune considération extrinsèque. « Seule la loi du talion (...) peut fournir avec précision la qualité et la quantité de la peine » (2ème partie, 1ère section, remarque E.). Assigner à la punition des fins sociales revient à traiter le coupable comme un moyen, ce qui contredit la seconde formule de l'impératif catégorique5. Punir en vue d'amender le coupable serait attenter à la majesté du droit : on ne doit pas punir pour..., en vue de..., il faut tout simplement punir parce qu'une faute a été commise. On punit par principe. C'est cette conception, légèrement atténuée, que défend Kant (1981) en matière éducative.

A l’opposé du moralisme, l'instrumentalisme justifie l'intervention de la peine en termes exclusifs d'utilité et d'intérêt. La peine n'est précisément pas une fin mais un simple moyen qui n'est légitime que s'il est utilisé en vue de réaliser un bien, soit pour le criminel (objectif de réhabilitation), soit pour la société (objectif de dissuasion et de neutralisation), empêchant soit le criminel lui-même (prévention spéciale), soit l'ensemble des membres de la société (prévention générale) d'accomplir certaines infractions.

La sanction doit être utile, à défaut il faut tout simplement la suspendre. Les instrumentalistes réfutent catégoriquement l'idée que l'on puisse punir pour punir, c'est-à-dire que l'on mette hors-jeu toute finalité sociale. Quant à la nature et à l'intensité de la sanction, elle se décrète en référence à des facteurs personnels et sociaux étrangers à la seule gravité de l'infraction. Les pensées éducatives modernes adhèrent généralement à une orientation instrumentaliste, elles reconnaissent que la sanction n'est pas un but en soi, mais un moyen dont l'usage n'est légitime que parce qu'il vise une utilité. De même, elles reconnaissent que les circonstances et la personnalité de l'infracteur sont des critères pertinents pour énoncer une sanction, en d'autres termes, elles ne sont pas imperméables à des formes individualisées.

Le souci dialectique
Si le moraliste se moque de l'utilité, l'instrumentaliste peut oublier la légitime exigence de justice (l’imputation objective d’un acte répréhensible. Le concept de sanction éducative tel que nous l'avons présenté, ne relève ni du moralisme, ni de l'instrumentalisme mais d'une dialectique qui permet précisément de neutraliser les dérives propres à chacune de ces deux orientations.

La sanction éducative relève de l'instrumentalisme en tant qu'elle n'est jamais à elle-même sa propre fin. Elle est toujours un moyen, moyen au service de la communauté, de la victime mais aussi et surtout du puni qu'elle vise à responsabiliser. L'idée de responsabilité est ici centrale. Mais pour qu'il y ait justice, la sanction requiert, comme préalable, l'existence objective d'une transgression délibérée de la loi. En ce sens, le moralisme est une condition nécessaire, il rappelle que la sanction est aussi due à la loi (Ricoeur, 1995). La sanction éducative repose sur le pari que l'on peut concilier la visée de l'éducatif et l'exigence du juste.

Si nous avions à la définir, il faudrait déjà dire qu’elle est une occasion. Elle est une occasion de rappeler une règle, un principe, elle est un moment pour faire sentir que quelque chose d'important a eu lieu et que les adultes que nous sommes ne resteront pas silencieux. Elle est aussi, d’une autre manière, une réponse aux deux sens du mot réponse, c'est-à-dire une réaction et une explication. Enfin, une sanction éducative est une interpellation, elle n'est pas là pour faire plier " l'irrégulier ", selon le mot de Durkheim (1963), mais elle est là pour confronter un sujet en devenir à l'exigence d'altérité et lui donner les moyens de renouer avec une victime ou un groupe. Elle est donc bien une interpellation au sens fort du terme (interpellare : couper, troubler, déranger), à moins qu'elle ne soit tout à la fois occasion, réponse et interpellation.

Notes

1Le terme de sanction est équivoque, il signifie, aujourd’hui, à la fois récompense et punition. Cela dit, il me semble préférable au terme de punition qui, dans notre tradition, est contaminé par l’idée d’expiation. Héritage dont il faut précisément se déprendre pour penser le concept de sanction éducatif comme nous le montrons dans la suite de cet article. Sur ce point de terminologie on peut se reporter à nos deux derniers ouvrages Sanction et socialisation. Paris : PUF, 2002 et La sanction en éducation. Paris : PUF, coll. que-sais-je ? n°3684, 2003.
2 Melanie Klein développe le concept de réparation dans plusieurs de ses ouvrages. On peut se reporter à Envie et Gratitude. Paris : Gallimard, 1968 ; Développement de la psychanalyse. Paris : PUF, 1980 et Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 1982.
3 On pourrait mentionner plusieurs ouvrages, celui de Dore F. et Mercier P. est sur ce point tout à fait exemplaire : Les fondements de l'apprentissage et de la cognition. Québec : PUL-Gaetan Morin éditeur, 1992, 162-211.
4 Sur les raisons socio-anthropologiques du déclin de la conception expiatrice, on peut se reporter à Raymond Verdier (1981) Premières orientations pour une anthropologie du droit, Droit et culture, Université Paris X-Nanterre, n° 1.
« Le modèle vindicatoire tend à prédominer dans les sociétés où l'individu, solidaire du groupe, est perçu dans l'exercice de ses fonctions sociales ; le modèle pénal tend à prédominer dans les sociétés où l'individu est appréhendé comme un être abstrait et isolé » p. 20.
5 Rappelons la seconde formulation de l’impératif catégorique kantien :"Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen". Kant E. (1976). Fondements de la métaphysique des moeurs. Traduction Victor Delbos. Paris : Delagrave, deuxième section, p. 150.


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